jeudi 28 août 2014

Le récit du chaman - Au-delà des nuages, extraits #7

Résumé des épisodes précédents ;-) : les chercheurs français, arrivés à San Lucas, ont fait la connaissance de Juan, le chaman et chef du village. Gabriel croit sentir un contact psychique s'établir entre l'Indien et lui. Mathilde fait un cauchemar épouvantable - est-ce l'ambiance particulière de ce village qui agit sur les nouveaux arrivants ?

"Une semaine plus tard, les recherches du professeur Chéron avaient beaucoup avancé.


Installés devant la maison de Juan qui dominait le village et les vallées environnantes, l'ethnologue et le traducteur discutaient avec le chaman merima. Le dialogue était décontracté, comme avec un vieil ami. Un enregistreur numérique était posé sur la table. Christian Chéron posait une question ou formulait une remarque que Gabriel traduisait. Juan répondait posément. Parfois Sebastián venait en renfort, apportant des compléments à l'espagnol limité de son chef. La matinée s'écoulait ainsi. Vers onze heures, Anna, son épouse, leur apportait une assiette de galettes de maïs et un jus de fruit. Juan devait alors partir vaquer à ses occupations. Parfois les deux vieux hommes se retrouvaient à nouveau au coucher du soleil et devisaient un peu, sur un mode plus détendu et amical.


Sebastián était souvent disponible pour répondre à des questions supplémentaires. Il quittait le village dans la soirée pour aller rejoindre des amis. Juan parlait de lui avec fierté, comme d'un fils.


- C'est un vrai merima, et un vrai homme de la ville. Il respecte les coutumes et s'est lancé dans de grands projets. Il va devenir une célébrité chez les Vénézuéliens tout en aidant son peuple ! Il réconcilie les deux mondes. C'est un bon garçon.


Javier, l'archéologue et anthropologue vénézuélien de l'équipe, restait lui presque invisible. Il partait tôt le matin dans l'un des 4X4, avec des outils de mesure dernier cri. Mathilde partait avec son propre matériel, dans un véhicule séparé ; ils semblaient ne jamais parler. Généralement, elle rentrait au coucher du soleil. Le Vénézuélien revenait tard dans la nuit, sentant le rhum.


Les paroles de Juan transportaient les deux Français dans un monde de magie et d'esprits. Mais celui-ci était étroitement lié au monde terrestre.


Il leur racontait des quantités d'anecdotes, de son époque ou de celle de ses ancêtres, sur les missions du chaman dans la vie du village. Ses visites chez des villageois malades, lorsqu'il jouait le rôle du guérisseur. Ses discussions avec des hommes inquiets, dont la terre ne donnait plus, dont les volailles étaient malades ou dont la femme avait perdu le moral et l'énergie.



C'étaient aussi les assemblées où il rendait la justice et celles où il mettait en garde ses concitoyens contre des dangers à venir : la tempête, la maladie, les chercheurs d'or misérables et hagards au coup de fusil facile. En effet, le monde extérieur, celui des « étrangers », des hommes « de la ville », était partout autour d'eux.


Parfois, ces réunions devenaient de complexes débats philosophiques, où il devait arbitrer entre le recours aux outils de la modernité et la sauvegarde des traditions. Ainsi, ils étaient familiers de l'argent liquide, mais n'étaient jamais allés en ville ouvrir un compte en banque. Mais récemment, ils avaient dû s'y résoudre : un jeune paysan du village avait été dépossédé par une entreprise d'élevage bovin, dont il utilisait des friches depuis des années sans savoir qu'elles appartenaient à celle-ci. Les villageois avaient formé une association pour défendre les droits de l'homme et lever les fonds nécessaires au rachat du lopin de terre.


Juan décrivait les rites sacrés qu'il administrait en collectivité et ceux, étranges et occultes, qu'il devait accomplir dans l'isolement de son refuge, une petite cabane située en retrait du village. Dans ces moments, il rencontrait les esprits. Des face-à-face terrifiants, solitaires, mais indispensables. De ces moments-là, il parlait aux deux Français à voix basse. [...]"

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