dimanche 17 août 2014

Premiers pas dans la forêt tropicale - Au-delà des nuages, extraits #5

Il nous faut ce stimulant qu'est la nature sauvage... Tout en étant avides de tout explorer et de tout apprendre, nous avons besoin que tout soit mystérieux et inexplorable, que la terre et la mer soient infiniment sauvages, inexplorées et non mesurées par l'homme car impossibles à mesurer. Nous ne nous lassons jamais de la nature. (Henry David Thoreau)


Les premiers jours de Gabriel comme assistant d'un ethnologue l'ont rapidement plongé dans un environnement inquiétant, par la lecture d'anciens récits d'explorateurs et par une découverte intrigante au sujet de son propre patron... Après avoir repris la route vers le sud, l'équipe de chercheurs fait étape à l'orée d'une forêt. C'est l'occasion pour le jeune Français de pénétrer pour la première fois dans un milieu fascinant, déstabilisant, effrayant : la jungle.

"A mesure qu'ils s'élevaient et s'éloignaient de leur point de départ, ils sentaient leur environnement changer. Des bruits nouveaux, cris d'insectes et d'oiseaux, faisaient leur apparition.

Le plus surprenant d'entre eux s'apparentait à des chants de grillons. Mais qui auraient été démultipliés, amplifiés par une caisse de résonance, celle que constituaient les parois de la forêt. Et coordonnés par un invisible chef d'orchestre. L'appel montait et descendait, montait et descendait, parfaitement synchrone : il rappelait les encouragements de supporters fanatiques dans un meeting politique ou dans un stade bondé. L'ensemble avait un effet hypnotique.
 

- Ce sont bien des grillons, traduisit Gabriel. Ils chantent continuellement dès qu'il fait suffisamment chaud. Ça les rafraîchit.
 

- On les entend tout le temps mais on ne les voit jamais. ¡Es la música de la selva! ajouta le guide.

L'air était chaud, humide et chargé de vie. Il faisait sombre. La végétation devint vite si dense qu'ils furent contraints de cheminer en file indienne. Les pieds se faisaient malhabiles, sur un sol dont on percevait mal les contours et l'épaisseur. Des racines se dressaient sans crier gare, forçant à une attention de chaque instant. L'humus épais était couvert par endroits de plaques de feuilles mortes gonflées d'eau. Il fallait parfois baisser la tête pour éviter une branche suintante d'humidité ou le nœud pendant d'une liane moussue.


Dans le capharnaüm biologique qu'était la forêt tropicale, il paraissait difficile d'accélérer le pas et encore plus de courir. Il fallait obéir aux accidents du terrain. Se faufiler avec prudence entre deux arbres, l'un s'appuyant parfois sur le tronc de l'autre comme s'il était au bord de la chute. Escalader un rocher glissant surgi de nulle part – comme une marche d'un escalier de géant – en passant momentanément à quatre pattes pour éviter la chute. Le guide était équipé d'une machette ; à chaque minute, il devait faire halte pour en frapper les branchages, les lianes et les tiges de jeunes plantes qui leur barraient la route.


La chaleur. L'humidité. La pénombre. Les sons, étranges et répétitifs. Le labyrinthe épais et éreintant qu'opposait la nature au marcheur. L'invasion de la peau, du nez et du champ de vision par une escadrille d'insectes : les nouveaux venus comprenaient que la jungle n'avait rien de commun avec les bois de leur pays natal. Aux sentiers aérés, sereins, apaisants de l'Europe tempérée se substituait un univers rude et oppressant. Ici, les humains n'étaient pas les maîtres. Tout juste des inconnus de passage, des étrangers avançant sous surveillance. Et ils n'étaient pas les bienvenus."



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire